Les vrais autistes

Je ne sais pas ce que c’est qu’un vrai autiste selon les gens, mais j’aimerais vraiment le savoir. Lorsque nous sommes un adulte autiste, capable de parler, de communiquer et d’écrire on dirait qu’on a trop peu de difficulté visibles dans la vie pour pouvoir vraiment être un autiste.

Ce n’est pas parce que je semble me débrouiller dans la vie et que je semble en contrôle que je l’ai toujours été. Vous ne savez peut-être pas, mais les autistes évoluent en grandissant. Pas tous à la même vitesse. Pas tous dans les mêmes sphères. Et pas tous de la même façon. Parce que le spectre de l’autisme ne s’appelle pas un « spectre » pour rien. C’est parce que c’est un large « spectre ».

J’ai déjà entendu des gens se dire entre eux « je suis beaucoup moins autiste que toi. Moi j’ai un mari, une maison et des enfants », ou « Tu es bien plus autiste que moi, toi t’as pas de permis de conduire »,ou « je suis plus NT que toi… » et autres comparaisons du genre. Il n’y a pas de gens plus autistes ou moins autistes, il y a seulement des gens différents. Moi j’ai du mal à appeler au téléphone pour prendre un rendez-vous, je préfère aller directement à la clinique pour prendre mon rendez-vous. Mais je suis généralement capable d’aborder des gens et de leur parler, alors que c’est un cauchemar pour d’autres qui eux n’ont aucun mal à faire un appel téléphonique. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Tout dépend de notre personnalité, du milieu dans lequel on a grandi, de notre environnement, de nos prédispositions, de nos intérêts, de nos talents. À 16 ans j’étais trop gênée de commander au Mc Donald. À 30 ans j’ai terminé un BAC en danse. Un bac durant lequel j’ai dû danser devant les autres durant 3 ans (en plus du DEC). Avoir un intérêt très fort pour quelque chose pour pousser à évoluer dans une direction. Mais on ne devient pas moins autiste parce qu’on évolue et que l’on contourne nos difficultés.

Enfant, alors que ma sœur gagnait des méritas, je me promenais à quatre pattes en public en faisant le chat. Ma mère pensait que j’avais peut être une déficience intellectuelle et je n’allais pas avoir mon diplôme d’études secondaire. J’étais dans mon monde. Rares sont ceux qui pouvaient entrer dans ma bulle, seuls ceux qui comprenaient que c’est eux qui allaient devoir entrer dans mon monde et pas moi dans le leur, pouvaient y arriver. Heureusement, j’ai eu des tantes qui comprenaient tout ça. J’ai appris mon alphabet, mes syllabes et les noms des 23 amis de ma classe en trois semaines, mais je ne savais écrire mon nom lorsque je suis arrivée en première année. Je ne voulais pas. Ça a pris l’aide d’une orthopédagogue pour débloquer cette compétence. J’ai passé tout mon primaire et tout mon secondaire dans ma bulle, à ne pas comprendre ce qui se passait autour de moi. Mais je passais mes années, alors on n’y voyait pas de problème. Dans les années 90, on ne connaissait pas encore assez l’autisme pour arriver à m’étiqueter autiste. Mais j’ai eu le droit à une  panoplie d’autres étiquettes dénigrantes. Fainéante, paresseuse, perdue, niaiseuse, pas vite, enfant téflon, tête dure, bizarre, spéciale, pas normale, etc. 

J’ai toujours été reconnue comme une enfant attachante en dehors de la maison, mais chez moi je faisais des crises, on ne pouvait pas me toucher, je n’aimais pas être coincé, je me débattais pour ne pas faire de câlin, je mordais, je donnais des coups, Je criais je cherchais des coins dans la maison pour me réfugier. J’avais des rigidités alimentaires j’avais des sensibilités aux tissus, aux vêtements, aux aliments, aux matériaux d’arts à l’école, aux odeurs, aux goûts, aux bruits, aux lumières. À l’école j’avais du mal à me faire des amis. J’en avais une. Et ça me suffisait. On se chicanait souvent, car je voulais choisir les jeux, car j’avais besoin de contrôler mon environnement (et à l’école c’est bien la seule chose sur laquelle on ait le contrôle). On me trouvait bizarre dans la cour d’école, on trouvait donc ça tannant que je parle toujours de chats. J’étais souvent la dernière choisie au ballon chasseur. Quand je dit choisie c’est que les 2 capitaines se  chicanaient pour ne pas m‘avoir. Je ne comprenais pas les autres et les autres ne me comprenaient pas non plus.

Enfant, ma mère m’aurait parfois « attaché aux murs » si elle avait pu le faire. Dire que je ne suis pas une vraie autiste, c’est nier tout ce par quoi ma mère a dû passer pour m’élever. C’est nier toutes les difficultés par lesquelles les parents d’aujourd’hui passent pour offrir le meilleur à leurs enfants. C’est dire que ce qu’ils vivent n’est pas vrai.

Lorsque vous dites que nous ne sommes pas de vrais autistes, vous effacez tout le mal par lequel nos parents ont dû passer pour nous éduquer et faire de nous les adultes que nous sommes devenus. Je vois en ma mère lorsqu’elle parle de mon enfance la même détresse que vivent beaucoup de parents que je retrouve sur les nombreux groupes auxquels je participe. Elle aussi elle s’est demandé si c’était elle, elle aussi elle s’est demandé ce qu’elle faisait peut-être de mal. Pourquoi je n’étais pas comme les autres enfants. Pourquoi sa fille de 8 ans fait-elle autant d’anxiété.

Lorsque vous dites que je ne suis pas une vraie autiste, car j’ai l’air de trop bien réussir dans ma vie, vous niez les difficultés par lesquelles ma mère a passé dans ma vie. 17 ans de bulle. 17 ans de difficultés. 17 ans de plus ou moins bonne autonomie sur différents aspects spécifiques de ma vie. Sortir de ma bulle ne veut pas dire que je n’y ai jamais été emprisonnée, cela veut seulement dire que j’ai enfin trouvé la porte qui me permettait d’en sortir et d’ainsi parvenir à venir faire votre connaissance. Et même aujourd’hui, je fais encore des shutdown. J’ai encore de la difficulté à gérer le trop-plein de stimuli extérieurs. La différence c’est que maintenant je sais pourquoi ça m’arrive et ce que je dois faire avant d’exploser. En plus d’être entourée par des gens compréhensibles, formidables et aimants.L

Merci d’arrêter de dire aux adultes autistes qu’ils ne sont pas de vrais autistes et qu’ils font du mal aux «vrais autistes» en s’exprimant et en se défendant,

Paya Peste

Joyeuses fêtes à vous tous !
https://www.facebook.com/TSAsansbulle/

13 réflexions sur “Les vrais autistes”

  1. Merci pour ce texte tellement vrai. Je suis autiste asperger et ma fille de presque 4 ans aussi. Et chaque fois c’est la même chose lorsqu’on annonce la chose aux personnes exterieures ou aux amis… « oh lala… genre… vous êtes autiste nan mais encore un effet de mode. Nous non plus on aime pas les gens mais on est pas autiste pfff n’importe quoi… » ça a le don de m’enerver. Ils ne comprennent pas tous les moments d’epuisement Et d’acharnement pas lesquels nous sommes passés en tant que parents. Nous luttons au quotidien pour expliquer ce spectre autistique car notre fille est egalement HPI donc tout le monde associe rain main à l’autiste de base… ce monde me rend folle par son intransigeance, son incapacité à comprendre l’autre dans sa différence… bref votre article reflète tellement notre ressenti au quotidien que cela fait du bien… merci.

    1. Heureuse d’avoir pu vous faire du bien avec mon texte. Ce texte me vient justement d’un trop plein de ressentis, suite à des commentaires sur notre page Facebook.

  2. Bon succès pour ton nouveau blogue ! Quand tu dis : « Quand je dit choisie c’est que les 2 capitaines se chicanaient pour ne pas m‘avoir », j’ai eu l’impression d’avoir été plagiée! Haha! J’ai déjà écrit ceci dans mes nombreuses notes personnelles, mais jamais publié. Cela prouve que les autistes vivent tellement les mêmes situations.

    Joyeuses Fêtes!

    1. C’est stupéfiant le nombre d’histoires communes que les autistes ont vécues dans leur parcours.
      J’espère que vous avez passez de joyeuses fêtes également 😉

  3. Bravo et merci pour ce post il faut respecter chaque autiste et cesser ces comparaisons discriminantes et blessantes
    Tous ont droit de cité

  4. Je me retrouve tellement dans ce que tu écris… j’ai 54 ans et je me sais autiste depuis 3 ans. C’est un tel soulagement de savoir enfin. De relire son passé au travers de ce miroir qui n’est plus déformant. Je comprends tellement la petite fille que j’étais, maintenant. Merci pour tes mots.
    Laurence

  5. Merci pour ce témoignage. Ma fille de 11 ans vient d’avoir son diagnostic après 2 ans d’errance et de meltdown à répétition. L’école n’accepte même pas le diagnostic et me trouve « à côté de la plaque »…. mais nous allons bien mieux elle et moi depuis ce diagnostic, nous parvenons à faire des compromis et elle peut mieux identifier ses limites.

    1. Le diagnostique est un guide vers une meilleure connaissance de soi et si les gens n’acceptent pas la réalité c’est bien dommage et vraiment triste. 🙁
      Être entouré de personne qui nous soutiennent, même si elles ne peuvent comprendre notre réalité exactement, c’est très important.

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