Si j’avais eu mon diagnostic étant plus jeune ? (Stigmatisations)

Lorsqu’on nous met dans une boite (case).

J’ai reçu mon diagnostic seulement à l’âge de 28 ans. Lorsqu’on reçoit un diagnostic d’autisme à l’âge adulte, on peut passer par une multitude d’émotions variées (qui diffèrent d’un individu à l’autre) et nous revoyons tout le fil de notre vie. Nous repensons à tous les petits détails de notre passé qui nous sonnent des cloches suite à l’annonce de ce diagnostic. Vient alors ce questionnement « Et si j’avais reçu ce diagnostic lorsque j’étais enfant, est-ce que ça aurait changé quelque chose à ma vie? ». Sans aucun doute, je dirais que oui. Ceci dit, aurais-je préféré le savoir plus jeune ou est-ce que je préfère l’avoir appris à un âge où je suis la seule personne qui a un pouvoir et un impact sur mon avenir ?

J’ai repensé à mon enfance, au milieu social dans lequel j’ai grandi, aux réactions des gens face à ma différence dans mon souvenir, à mon éducation, aux connaissances que nous avions de l’autisme à cette époque, aux moyens financiers et aux ressources auxquelles ma mère avait accès. Voici ma réflexion en évaluant ses variables.

1. Il aurait été possible que des gens commencent à me traiter différemment suite au diagnostic.

Comme l’écrit Peter Vermeulen dans le livre Mon enfant est autiste : Un guide pour parents, enseignants et soignants (p.62), « Les soi-disant désavantages du diagnostic ne sont pas la conséquence directe de celui-ci, mais de la façon dont les gens réagissent face au diagnostic. C’est la façon dont les gens réagissent aux étiquettes ou aux diagnostics. » Donc, parfois le problème des diagnostics ce n’est pas le diagnostic lui-même, mais les gens autour de l’enfant.

« Selon les critiques, ces étiquettes présentent deux désavantages :

  • Une étiquette est stigmatisante ou irrespectueuse pour la personne et la prive de possibilités de développement personnel : « Il ne peut pas aller chez les scouts parce qu’il est autiste ». Ou « Si votre enfant est autiste, il ne peut pas rester dans une école ordinaire comme la nôtre. Il vous faut trouver une autre école »;
  • L’étiquette finit par tout dominer à tel point qu’on ne voit plus l’enfant derrière elle on ne parle plus de Valérie, de Richard ou de Mélanie, mais de « l’autiste ». »

Or, j’ai été à l’école régulière toute ma vie et si j’avais seulement eu un meilleur encadrement j’aurais probablement eu moins de difficulté à suivre comme les autres et mes résultats scolaires auraient brillé un peu plus.

En retournant dans mes souvenirs, je reconnais des personnes qui selon moi auraient été compréhensives et auraient continué à me traiter comme avant et comme les autres enfants, tout en comprenant que parfois j’allais faire des choses différemment des autres enfants, réagir différemment et comprendre différemment, sans me juger et sans me discriminer. De l’autre côté,  je visualise les impacts négatifs qu’une telle étiquette aurait créés dans le jugement de certaines professeures que j’ai eu. Celles qui n’étaient déjà pas toujours gentilles envers moi, car je ne répondais pas à leurs attentes. J’estime que dans ma situation, le poids du stigma que cela aurait pu créer aurait pu avoir des impacts plus négatifs que positifs sur ma relation avec ses professeurs, peut-être avec les enfants, avec des membres de la famille, les amis des parents, etc.

2. Il y a aussi le double tranchant des stéréotypes en autismes.

Entre le stéréotype du génie ayant un don dans une discipline particulière et celui de l’enfant qui se tape la tête sur les murs, nous assistons à deux phénomènes tout aussi néfastes pour un enfant, quoique différents. C’est-à-dire, les conséquences de « surestimer » ou « sous-estimer » les capacités d’un enfant.

Entre créer de l’anxiété de performance, de la frustration due à des attentes trop élevées et sur-stimuler un enfant, ou au contraire, l’empêcher d’évoluer à son vrai potentiel, le faire régresser en pensant qu’il ne peut atteindre mieux et l’isoler dans des classes non adaptées à ses besoins réels, il est évident qu’aucun de ces deux scénarios n’est idéal. Le mieux serait de trouver un équilibre qui permettrait à l’enfant d’évoluer à son rythme et d’être poussé selon ses limites. Si l’enseignement est pris en charge par une personne qui possède de bonnes connaissances en ce qui concerne l’autisme de l’enfant, nous mettons les chances de son côté. Cependant, Je n’ai aucune idée du type d’aide que j’aurais pu recevoir en 1993. 

Et si j’avais eu le diagnostic jeune, les attentes de mon entourage se seraient-elles éteintes au passage? Aurait-on arrêté de croire en mes capacités et cessé de m’encourager à me dépasser? Déjà, puisque ma sœur récoltait les méritas, alors que moi je faisais le chat ou le chien en me promenant à quatre pattes, nos parents n’ont jamais eu les mêmes attentes envers moi, qu’envers elle. Le mauvais côté de cela : puisqu’on ne s’attendait pas à autant venant de moi, je le ressentais, et mes notes étaient inconsciemment comparées par rapport à celles de ma sœur, ce qui me faisait sentir nulle. Un B c’est bien par rapport à un C, mais pas en comparaison à un A+. De l’autre côté : je recevais moins de pression qu’elle, donc je vivais moins d’anxiété de performance (à un certain point dans ma vie) et dès que j’accomplissais quelques choses dont personne ne m’avait pensé capable, je les rendais en quelque sorte fiers. Donc, obtenir mon diplôme d’études secondaires était déjà un accomplissement en soi. Tandis que pour ma sœur, on s’attendait à ce qu’elle devienne au minimum bachelière. 

Si je n’avais pas rencontré des gens qui ont su me faire voir mon potentiel, je n’aurais sans doute pas terminé mon cégep, je ne serais pas allée à l’université et je ne commencerais pas ma maitrise lundi. Sans ces gens, je serais resté dans l’idée que « je ne suis pas capable, car je suis nulle ». Sans l’étiquette, sans savoir, il y avait déjà un peu ce phénomène. Maintenant, imaginons si on m’avait collé un autocollant « Autiste » dans le front.

3. Ce qui m’amène au manque de ressources et de connaissances en 1990.

J’ai eu droit à de l’orthopédagogie au tout début de mon primaire, afin de rattraper mon retard. De cette façon j’ai pu apprendre mon alphabet, les syllabes ainsi que les prénoms des amis en l’espace de 3 semaines (les joies d’avoir garder mes vieux agendas). Ça a été bénéfique à mon apprentissage et ça m’a fait commencer le primaire du bon pied. Si j’avais eu un diagnostic, aurais-je eu le droit de continuer à recevoir l’aide d’une orthopédagogue ? Je sais que cette simple aide m’aurait grandement apporté. 

L’un des scénarios que je vois est celui d’être transféré dans un établissement spécialisé. Quoique j’avais des capacités intellectuelles suffisantes pour rester à l’école publique (je le sais, car j’ai passé au travers de toutes mes années scolaires), si j’avais passé un test de QI, ce qu’ils font souvent lorsqu’une équipe interdisciplinaire évalue un enfant, ils auraient constaté que mes résultats auraient été « hétérogènes ». C’est-à-dire que mes résultats dans les différentes catégories du test auraient montré de grands écarts de performance entre eux (très haut en perception visuelle, mais très bas en langage verbal). Ceci aurait pu jouer soit en ma faveur ou au contraire, me désavantager. De là, il aurait été possible qu’ils pensent que ce soit préférable de me laisser à l’école régulière, que je reçoive de l’aide d’un.e spécialiste ou que j’aille en classe adaptée. Nous serons probablement d’accord en disant que ces trois scénarios ont chacun un impact très différent sur l’avenir d’un enfant.

Puisque je ne pourrai jamais savoir quel type d’aide m’aurait apportée un diagnostic dans les années 90, je me dis que je préfère avoir reçu mon diagnostic à l’âge adulte plutôt que d’avoir reçu une étiquette étant plus jeune, car cela aurait eu de fortes chances de me stigmatiser. Les gens ne connaissant pas très bien le sujet de l’autisme encore aujourd’hui, en 2019, je n’ose même pas imaginer où en étaient les études sur le sujet en 1993, lorsque j’ai commencé la maternelle. 

Ma mère n’avait pas les moyens de m’amener voir des spécialistes, elle ne savait pas que ma différence avait un autre nom que « tête dure », « enfant téflon », « p’tite criss », « dans sa bulle », « dans son monde », « spéciale », « différente ». À bien y repenser, j’avais déjà des étiquettes, j’avais déjà des stigmas. Mais ces étiquettes ne m’ont pas empêchée de progresser et de m’épanouir au moment venu, ce que je ne peux pas savoir pour le cas du diagnostic. Dans l’ignorance de ce que ça aurait pu être si nous l’avions su étant enfant, je préfère me dire que selon les conditions de mon parcours de vie, dans mon cas, je suis heureuse de l’avoir appris alors que je suis rendue où je suis dans la vie. J’ai peur qu’on aurait pu me sous-estimer. Qu’on ne dise à ma mère « Elle est autiste, votre fille ne pourra probablement jamais aller à l’université », car je les aurais sans-doute cru. La peur d’être arrêté par un mot. Quand finalement j’ai réussi à le faire mon BAC. Même que je commence une maitrise.

Je crois qu’aujourd’hui ça s’en vient mieux, que les choses s’améliorent et que les enfants auront plus de chance de pouvoir avancer malgré ces étiquettes. Que leur diagnostic ne devrait pas les arrêter. Qu’ils ne devraient pas se sentir bloquer pour un mot comme il y a 30 ans. Les écoles sont de mieux en mieux outillées et les parents de mieux en mieux épaulés.

Ce que je souhaite pour les générations futures c’est que l’évaluation diagnostique leur apporte non pas des stigmas ou des étiquettes, mais plutôt un mode d’emploi, un guide de compréhension de leur fonctionnement. Que ces enfants apprennent à s’aimer et qu’on ne les mette pas de côté pour un « mot ». Qu’on les traite à leur juste valeur et qu’ils reçoivent une éducation adaptée à leur besoins réels.

Pour un meilleur regard de l’autisme vers l’avenir.

3 réflexions sur “Si j’avais eu mon diagnostic étant plus jeune ? (Stigmatisations)”

  1. Un article très juste et très complet, comme chaque fois … Un plaisir.
    La fin de ton article est « la réponse » qui peut permettre d’avancer sur soi, avec les autres et dans ce monde : « mais plutôt un mode d’emploi, un guide de compréhension de leur fonctionnement. Que ces enfants apprennent à s’aimer »
    Tu as tout dit dans ces mots plein d’émotion et qui me touchent particulièrement.
    Pré diag depuis 2 ans et demi, fin des tests au CRA, je saurais ce qu’il en est ce 21 janvier 2019, je ne suis pas loin des 54 ans …
    Béa (chat)

  2. Un super article !
    Je me suis aussi beaucoup posée de questions à propos d’un diag dans l’enfance. Est ce qu’il m’aurait vraiment aidé ? Est ce que les choses seraient mieux ou pires ? J’en suis arrivée à la conclusion que peut-être c’était mieux ainsi et pour les mêmes raisons.

    1. Au début, lorsque j’ai eu mon diagnostique, je me suis dit « ça aurait tellement aidé de l’apprendre plus tôt ». Mais finalement, une centaine de réflexion plus tard, je me dis que je n’aurais sans doute pas été prête pour ça. Je ne l’aurais peut-être pas compris. Les gens autour de moi ne l’auraient pas compris. Mais je suis prête si jamais j’ai un enfant et qu’il est comme moi.

      Merci de ce beau commentaire 😉

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