Le système D – ou la débrouillardise

À la demande d’une amie

Une amie à moi, maman de deux enfants autistes, m’a demandé quelques fois si je pouvais écrire sur les choses que mes parents ont faites dans mon enfance que je considère qui m’ont aidé. À sa demande j’ai donc décidé de composer ce texte. 

Une des premières choses qui me vient à l’esprit lorsque j’y pense est cette façon de m’avoir enseigné la « débrouillardise » que l’on peut aussi appeler « le système D ». Ce n’était pas nécessairement conscient, mais c’était tout de même présent dans mon éducation. Au cours du texte je ferai des liens par la même occasion avec ce que ça a pu développé comme qualité. 

L’initiative (ou apprendre à en avoir)

Manquant « d’autodétermination » et « d’initiative » face à des choses nouvelles (comme bien d’autres autistes), sans cet enseignement j’aurais probablement eu bien du mal à penser par moi-même aux choses que je pouvais faire, sans que quelqu’un m’ait montré les possibilités de ce qu’on pouvait faire dans certaines situations. J’avais mes propres réflexions lors de certains types de situations, mais pour ce qui était de passer à l’action, ce qui est parfois l’une de mes faiblesses, je ne savais pas quoi faire et regardais sans broncher. Vous voyez cette image d’une jeune fille qui reste plantée à regarder, alors qu’on vient de renverser une chaudière d’eau par terre ? Ça a déjà été moi. Maintenant je sais que le réflexe est d’aller chercher une mope, des serviettes ou autres objets servant à ramasser un dégât d’eau. Il y a des gens qui verraient ça comme de la paresse ou de la mauvaise foi parce que je ne prenais aucune initiative. Mais pour moi, si je n’avais pas déjà vu la chose se passer et que je ne savais pas les actions possibles à faire dans ces contextes, c’est peut-être difficile à croire, mais je ne savais juste pas quoi faire, comment réagir. Surtout si j’avais toujours vu les gens se débrouiller sans moi. Alors à quoi pouvais-je servir? Je pensais que c’était extérieur à moi et que je pouvais continuer à faire ce que je faisais. 

En gros, si on ne m’avait jamais inclus dans l’action pour régler certains problèmes, je ne comprenais pas en quoi ça me concernait cette fois-ci et pourquoi on m’engueulait de ne pas réagir à un dégât quelconque. D’où l’importance de montrer aux enfants comment régler des problèmes, réparer des accidents, voir avec eux l’univers des possibles et voir avec eux s’ils voient d’autres façons qu’on n’aurait pas vues soi-même. Le tout dans un certain calme et patience. Car ça n’apparait pas dans nos connaissances comme par magie.

Avec les années, j’ai appris qu’à tout problème il peut y avoir une solution. Mes deux parents étant très débrouillards et ayant l’esprit vif, je n’ai pas manqué d’occasions de pouvoir observer et d’exemples (lorsque j’étais réceptive. C’est-à-dire : pas dans ma bulle). Si je sortais un peu de ma bulle, je pouvais voir mon père ou ma mère user de ce concept. Souvent, au lieu d’acheter de nouveaux objets et de jeter les objets brisés, ils trouvaient un moyen de les arranger. Au début, s’il y avait un problème, mes parents pouvaient me montrer comment le régler. À force de voir les « patrons » se répéter, je devenais meilleure en résolution de problème et je pouvais élucider certains problèmes par moi-même. Ça a pris du temps, car ils ne m’ont pas souvent inclus dans certaines tâches plus jeunes, car c’était plus rapide de leur faire sans mon aide. 

Où ça a commencé

Un des exemples les plus concrets qui selon moi décrit bien une partie de mon éducation est la fois où mon père m’a laissé découvrir seule comme doubler mes vidéocassettes. J’aimais faire des montages vidéo en copiant des vidéos sur mes casettes VHS. Un jour nous avions déménagé, donc le « set up » que mon père avait fait avec mes deux magnétoscopes était à refaire. Cependant mon père a refusé de les reconnecter ensemble. Sachant que je l’avais déjà vu faire, il m’a dit que si je voulais continuer à faire mes montages vidéo je devrais m’arranger moi-même. Premièrement, il savait que les lecteurs VHS ne risquaient pas grand-chose (il s’agit de connecter ou de déconnecter des câbles). Ensuite, il semblait se douter que peu importe le temps que ça prendrait, je finirais par trouver la configuration qui me permettrait de faire ce que je lui demandais. J’y suis effectivement arrivée, et d’autant plus contente et fière de moi après avoir passé quelques heures à me frustrer pour y arriver. Plus tard dans ma vie, j’ai pu aider des amis à connecter leur système de son sans problème ou autres trucs électroniques.

Écouter mythbuster et le pouvoir du duck tape

Les émissions de télévision que mon père regardait étaient également très formatrices. Mon père était fan d’une multitude de d’émissions télévisées qui montraient comment bricoler, faire des trucs créatifs et autres. Grâce à Mythbuster j’ai appris qu’on pouvait réparer n’importe quoi (temporairement du moins) avec du duck tape.  Ok, c’est une blague, mais n’empêche que le Duck Tape c’est très pratique. 

Mon père fait partie de ces gens que l’on appelait par chez moi des « patenteux ».  (Je viens du Québec) Dans notre appartement il y avait un réveil matin dans le réfrigérateur qu’il avait connecté à l’interrupteur de la lumière. Alors lorsqu’un des amis de mon père ouvrait la porte pour se prendre une bière, le cadran sonnait. Aussi, notre porte de balcon, une porte coulissante, s’ouvrait à l’aide d’une télécommande de voiture téléguidée. Les roues motrices étaient accotées sur la vitre de la porte qui l’ouvrait lorsqu’on actionnait la télécommande. J’aimerais souligner ici que mon père n’était pas ingénieur et n’avait pas fait de hautes études. Mon père n’avait même pas terminé son secondaire 2. Cependant, il était curieux et ingénieux. J’ai eu une enfance tout sauf ordinaire en sa compagnie. Nous n’étions pas riches non plus, la majorité des choses électroniques que nous avions étaient usagées ou avaient été trouvées dans les poubelles. Il adorait trouver des choses et les réparer. Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec neuf télévisions… Je dis bien « neuf » télévisions.

Bricolage, couture, réparer des objets

Une chose formidable que ma mère a faite est de me montrer comment utiliser du fil et des aiguilles. Me montrer comment utiliser des ciseaux ou un exacto. Me montrer à utiliser des outils. Ça encourage l’autonomie et la possibilité de faire ses expériences personnelles afin d’acquérir de la dextérité et d’entrainer le cerveau à penser à des idées pour se débrouiller. Au lieu d’empêcher un enfant à utiliser un objet, il est souvent préférable de lui montrer de quelle façon s’en servir. Ça diminue les risques de blessure, car il y a de fortes chances qu’il finisse par s’en servir quand même, dès le moment que vous avez le dos tourné. Alors, aussi bien lui montrer la bonne façon de les utiliser. 

Lorsque j’avais cinq ans, ma mère s’est mise à la couture. Elle était sur le chômage durant un moment et avait une enfant qui commençait la maternelle (moi). Elle m’avait donné des retailles de tissus et un petit kit de couture (fils et aiguilles) qui étaient rangés dans une petite boite. Ça avait plusieurs points positifs. De un, puisque j’avais mes choses, je laissais les siennes tranquilles. De deux, pendant que je pouvais moi aussi coudre, elle avait la paix. Et de trois, ça m’a permis d’apprendre à coudre, d’avoir confiance en moi, de ne pas me sentir comme si je n’avais rien droit de faire, ou ne savais rien faire. C’est un beau souvenir pour moi et en plus ça m’est utile aujourd’hui lorsque je veux réparer un morceau de linge ou faire des ajustements à des vêtements trop longs (la joie de mesurer moins de 5pieds).

Mon père avait fait une maquette très détaillée et fidèle de notre chalet.

Comme je disais plus haut, mon père qui n’avait pas d’étude, mais il avait plusieurs talents. Il avait la fibre artistique et était manuel. Il a été sur l’aide sociale et la CSST durant une longue période de sa vie suite à un accident de travail. Les jours où il n’avait pas trop mal, il passait le temps en bricolant. Il avait une superbe maquette de notre chalet. Je suis triste de ne pas retrouver de photos de celle-ci. La maquette a été brisée lorsqu’un de mes chats l’a fait tomber un jour… Mais elle était belle avec ces petits détails, la couverture du toit en papier sablé granuleux, et le haut qui était amovible. Pourquoi je parle de cela? C’est que puisque mon père avait ce type d’activité, je bricolais également avec lui. Je le regardais couper le bois, les petites planches minces, comment il appliquait la colle, de quelle façon avec presque rien à sa disponibilité il pouvait faire des choses magnifiques. Qu’avec peu on peut faire de belles choses quand même. Qu’avec de la patience et en étant méticuleux on peut atteindre de beaux résultats.

Vivre ses propres expériences ou nous laisser nous péter la gueule parfois.

Me laisser faire des « erreurs » ou plutôt vivre « mes expériences » afin d’emmagasiner des compétences et des connaissances. Certains enfants ont besoin de vivre leurs propres expériences pour apprendre. Il est connu que les enfants autistes ont parfois du mal à se mettre à la place des autres par manque d’avoir vécu des expériences similaires à celles de leur interlocuteur, ce qui donne l’impression d’avoir un décalage dans l’empathie. L’enfant ne comprend pas ce que l’autre vit, car il ne l’a jamais expérimenté lui-même. Par expérience, j’ai réalisé que plus je vivais de situations différentes, plus je pouvais vivre mes propres « expériences », plus on me permettait d’essayer par moi-même, plus je pouvais comprendre ce que les autres vivaient, moins je bloquais à la peur de ne pas réussir du premier coup, moins j’avais peur de faire des erreurs, plus j’emmagasinais d’expériences et de connaissances, plus je devenais autonome et plus j’étais persévérante. En danse nous sommes parfois encouragés à tester des façons différentes d’aborder un mouvement. Juste pour évaluer les différentes façons de faire. Comment un même mouvement peut être abordé de différentes façons. Plus on explore les multitudes de manières de faire, plus on s’améliore et plus le mouvement devient aisé. C’est avec ma formation en danse que j’ai compris ce concept. Mais il est tellement utile dans toutes les facettes de ma vie.

Conclusion

La débrouillardise est une excellente qualité dont vos enfants auront besoin lorsque viendra le temps d’aller à l’école, de faire des travaux en équipe, de commencer leur premier emploi étudiant ou d’aller vivre en appartement. Ça aide à développer le réflexe de réfléchir à un moyen de régler des problèmes lorsque ceux-ci surviennent. J’ai déjà été beaucoup moins relaxe que je le suis aujourd’hui fasse aux changements et aux problèmes. Maintenant, je n’angoisse plus autant, car j’ai appris comment régler la majorité des difficultés que je rencontre et de m’assoir et de respirer afin de réfléchir à la situation lorsque je ne sais pas quoi faire. Adolescente ou jeune adulte il m’était difficile de rester calme. Ma tendance était de figer devant un problème ou un changement d’horaire et de faire une crise d’hyperventilation. Avec le temps j’ai développé le réflexe de penser à comment arranger les choses. En plus d’apprendre à se débrouiller, ça aide à travailler la résilience et ça apprend à maitriser son stresse en cas de changement. Et cela est bon pour n’importe qui. Autiste ou non. Enfant, adolescent ou adulte.

Petit chaton deviendra grand et épanouie!

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